Châteaux sans maîtres…

Comme des châteaux sans maîtres entourés de guerriers morts, comme des palais déserts, comme des demeures abandonnées au bord du temps, au long des routes, sur la rive des canaux et des fleuves, au flanc des carrières, au sommet des tertres, dans le creux des vallées et des ravins, en plein désert d’herbes, peuplés de rumeurs éteintes, de luttes oubliées, hérissés d’armatures, enracinées dans la rouille : ateliers, usines, fabriques, manufactures, entrepôts, moulins, halles, magasins, cheminées, réfrigérants, châteaux d’eau, silos, belles-fleurs, séchoirs, signes muets d’activités défuntes.

Lichen

Comme si on venait de les quitter, parfois.

Ou alors : abandonnés depuis la nuit des temps, le commencement du monde, laissés en pleine terre comme des messages indéchiffrés.

Marche

[…] Champ clos des luttes anciennes, grilles rouillées, entrebâillées, que des gardes armés interdisaient jadis ; cours des rassemblements et des meetings, bureaux désertés des otages, chaînes paralysées où la répétition infinie engendrait l’épuisement, machines pointeuses dépourvues de cadrans, semis de fiches et de cahiers, silence…

[…] Comme si un cataclysme était passé sur eux, voici des bâtiments sciés en deux, net, sous la lame d’un gigantesque microtome. La coupe apparaît, précise, émouvante, comme une épure d’architecte ou une planche anatomique. D’autres fois, on dirait des écorchés. Couche après couche, d’ailleurs, tout finit par disparaître. Il ne reste que le squelette : acier, fer, fonte, béton, pierre, brique. Le bois lui-même n’aura qu’un temps. Puis la rouille aura raison des métaux, et fera éclater les bétons. Les mortiers se désagrégeront. Les briques et les pierres elles-même, parfois, se déliteront. Et tout reviendra au sol, comme les palais assyriens. Crassiers d’un nouveau genre. Tumuli.

D’autres fois, bâtiments effondrés d’un bloc, inclinés à faire peur, couchés au milieu des herbes. Eléments d’une monstrueuse décharge.

Architectures industrielles en Belgique et ailleurs,
Luc van Malderen et Pierre Puttemans,
Editions Labor, 1992